62.161.153.125

62.161.153.125 vue dexpo Hic- Nice@ Villa Arson

Ordinateurs, jeu Assault Cube (sous licence Gnu/Linux) dimensions et supports variables, 2010.

Évènements

62.161.153.125 confronte deux espaces, le local et le global à travers le public de l’exposition et le joueur / internaute qui expérimente la carte de jeu à partir de son ordinateur personnel. Cette installation est issue d’un travail au sein du groupe de recherche, Nexus, dirigé par Laetitia Delafontaine, Gregory Niel, Gianni Gastaldi et Patrice Maniglier. Ce groupe avait comme objet d’étude le film Elephant de Gus Van Sant à travers la notion de global et de local. J’ai proposé de créer un serveur de jeu type FPS (First Person Shooter) qui reprend les caractéristiques de la galerie d´exposition. Ainsi on pouvait appréhender ce jeu à la fois sous sa forme locale (puisque quatre postes de jeu étaient disposés dans la galerie) et aussi à travers un accès global via le serveur du jeu. C’est d’ailleurs l’adresse IP de ce serveur qui a donné le nom de cette installation interactive, 62.161.153.125.

 

 

Cette installation met en scène une dématérialisation de l’objet ou du lieu d’art, ce dispositif réseau ne produit pas une disparition de cet objet, mais à l’inverse, il lui confère une ubiquité. Certes, l’œuvre devient en quelque sorte impalpable, car le visiteur a recours à une interface pour l’expérimenter, mais il devient assez problématique de la localiser. Est-elle dans l’interface, dans le poste de jeu que manipule le spectateur ? Oui, mais pas seulement, elle réside aussi dans ce serveur, caché du public, mais présent dans le centre d’art, qui centralise et propage les informations de jeu. Par extension, l’œuvre se situe aussi dans toutes les connexions qui transmettent l’information aux joueurs et aussi dans le matériel que l’internaute distant utilise pour jouer.

 

Un problème : l’approche «locale» de l’espace

Une intuition largement partagée veut que nous soyons contemporains d’une profonde renégociation de l’articulation du local et du global.
Au-delà des discours plus ou moins imprécis sur la globalisation et l’explosion des technologies de délocalisation et d’hyperlocalisation (téléphonie mobile, G.P.S., etc.), l’affaire touche aussi à l’histoire des sciences (des mathématiques de Gauss ou de Riemann à la physique einsteinienne) autant qu’à la philosophie contemporaine (Merleau-Ponty, Deleuze, Badiou…), et enfin aux arts plastiques: Panofsky ne racontait-il pas l’histoire de la perspective comme la mise en place progressive d’un «espace systématique», permettant de localiser rigoureusement celui pour qui il y a représentation dans l’espace même qu’il se représente ?

Le cas de la perspective est d’autant plus intéressant qu’il fournit un exemple particulièrement prestigieux et bien documenté d’une invention artistique qui a des enjeux spéculatifs non parce qu’elle permet de «symboliser» une idée, mais plutôt parce qu’elle met au point un procédé qui va migrer vers la cosmologie (la notion d’infini), la philosophie (Descartes et Leibniz s’en servent pour substituer la notion de représentation à celle de ressemblance) et les mathématiques (la géométrie projective) – bref, faire penser, mais non pas au sens de faire réfléchir, mais au sens de donner des instruments.

C’est pourtant le genre de réglage de la relation du local et du global dont la perspective fournissait le modèle qui semble désormais remis en question. Du point de vue philosophique, on peut formuler le problème de la manière suivante: comment penser un mode de totalisation qui ne préjuge pas d’avance de l’existence d’une structure commune à l’intérieur de laquelle les éléments seraient indexés, mais cherche à la reconstruire en procédant localement, s’assurant à chaque fois de la possibilité de recoller la manière dont la structure globale apparaît en chaque point ?
L’horizon terrestre donne une première approximation un peu métaphorique, mais utile, d’une telle «approche locale» de la notion même d’espace. Bien que la Terre apparaisse localement plate, on peut induire son caractère globalement sphérique uniquement en en parcourant la surface et sans avoir besoin de le surplomber: si nous avançons toujours tout droit dans la même direction, nous nous retrouverons au même point que celui dont nous sommes partis, et cela quel que soit notre point de départ. Les enjeux philosophiques, et, pour tout dire, métaphysiques, d’une telle approche sont considérables, et encore largement en attente de conceptualisation. Ils ne touchent à rien de moins qu’à une certaine image de la raison.

La question qu’on est tenté de se poser est alors très simple: étant donné que nombreuses sont les pratiques artistiques contemporaines qui réinterrogent le dispositif perspectif, souvent au moyen des nouvelles technologies de l’image disponibles (photographie, cinéma, vidéo, réseaux, etc. ), ne peut-on espérer avoir trouvé, dans cette renégociation de l’articulation du local et du global, un de ces problèmes communs que nous cherchons ? C’est cette hypothèse que nous avons travaillée avec Juan Luis Gastaldi et DN (Delafontaine et Niel).

 

– Texte de Patrice Maniglier sur l’exposition HIC publié en 2009 sur www.laFormedesidées.net.